« Au cours de ma vie, j’ai perdu des morceaux de mon cœur ça et là. Maintenant il ne m’en reste presque plus assez pour rester en vie. Mais bon, je me force de sourire, sachant que mon ambition a bien dépassée mon talent. ».

La température extérieure ne présageait rien qui ressemble à une bonne augure. Tout était gris, d’une morosité incontournable. Comme Kayden, qui fixait l’horizon derrière la vitre de son véhicule blanc, celui réserve aux gardiens de la paix. Son visage blême, d’une froideur extrême, ne trahissait en rien ses pensées. Heureuse ou animée par la peine, la brune demeurait impassible. Même son regard ne pouvait la démasquer. Pourtant, dans ce silence troublant, elle sentait son palpitant se serrer d’avantage. Encore plus lorsque les gouttes d’eau frappèrent le pare-brise de la voiture. Elle se remémorait les troubles obscurs de sa vie. Elle n’oubliait rien de cette nuit fragile où tout avait changé. Son âme était vendue au Diable dès lors. A quoi bon prier un Dieu ? S’il avait existé, jamais il n’aurait permis à un tel monstre de tout détruire en elle. Désormais, elle le savait ; sa vie était déjà en Enfer. Néanmoins, elle gardait ce masque éternel, celui de la policière consciencieuse et bienveillante auprès de tous les citoyens de Dungannon. Elle avait retrouvé son Irlande natale, bien qu’elle ne l’avait que trop peu connue dans sa vie. C’était la seule chose qui la rattachait encore un peu à son passé, laissé derrière elle. Elle l’avait enterré, en même temps que son époux et sa fille. Cependant, à y regarder de plus près, elle portait encore ce collier en or. Un pendentif et deux alliances s’y logeaient dans une harmonie somptueuse. C’était les bagues de son mariage et l’ornement de sa fille ; un petit fer à cheval doré qui lui avait été offert par sa grand-mère le jour de son baptême. Voilà ce qu’il restait de son mariage et de sa vie de femme. Ca et les photographies, vieillissant dans un carton au-dessous de son lit. Elle n’avait jamais pu l’ouvrir à nouveau depuis qu’il fut scellé par ses soins. Elle n’en avait pas la force. Elle ne l’aurait plus jamais, d’ailleurs.

Elle poussa un léger soupire, tout en regardant le « Jo’s Coffee ». Kayden savait qu’elle devait s’alimenter. Mais elle n’y prenait plus aucun plaisir, elle qui cuisinait pourtant si bien autrefois. Tout n’était plus qu’amertume et dégoût. Son corps réclamait, malgré elle. Alors elle sortit du véhicule, bravant la pluie naissante, pour se réfugier à l’intérieur du fastfood. Elle ne prit pas la peine de courir, ce qui la trempa jusqu’aux os. Peu importe, dans le fond. C’est alors qu’elle croisa la silhouette connue d’une personne, déjà à l’intérieure, ce qui l’interloqua à peine. Des hommes, des agents, des monstres... elle en connaissait tant. Elle les gardait précieusement en mémoire. Laissant un léger sourire se poser sur ses lèvres, elle se dirigea jusqu’au bar pour prendre commande. La serveuse la connaissait bien, alors elle ne prit pas la peine de lui rappeler ce qui était quotidien. « Comme d’habitude, Stacy. » Lâcha-t-elle, avant de regarder du coin de l’oeil le jeune homme, assis au fond du café. Finalement, la journée n’allait peut-être pas être si morose que ça. Sans se démonter, elle marcha jusqu’à sa rencontre, debout devant lui. Elle ne parla pas et prit place juste en face de l’individu, comme s’ils étaient plus que d’humbles connaissances. Elle l’avait remarqué depuis longtemps. « Bonjour, agent Regan. » Dit-elle sur un ton posé, sans sourciller ou même paraître inquiète. Elle ne l’était pas, tout simplement. Elle n’avait peur de rien. Pas même de mourir. Pour elle, elle l’était déjà depuis bien longtemps. « Que me vaut l’honneur de croiser un membre de la CIA à Dungannon ? » Finissait-elle par demander, plus par politesse qu’autre chose. La vérité, c’est qu’elle s’en moquait bien. Elle n’allait pas trembler devant lui. Ni devant quiconque, d’ailleurs. Stacy arriva alors avec sa commande : un cheeseburger et un café noir, sans sucre ni crème. Kayden la gratifia d’un sourire, qui s’effaça dès qu’elle lui eut tourné le dos. La brune planta alors son regard dans celui de Gareth, visiblement peu affectée par sa présence.

« Au cours de ma vie, j’ai perdu des morceaux de mon cœur ça et là. Maintenant il ne m’en reste presque plus assez pour rester en vie. Mais bon, je me force de sourire, sachant que mon ambition a bien dépassée mon talent. ».

La brune observait l’agent de la CIA, en face d’elle. Elle l’avait repéré dès l’instant où elle avait pénétré dans le petit café, dans lequel elle prenait si souvent sa pause déjeuner ou un encas rapide avant de retourner bosser sur une affaire quelconque. Il n’y avait guère de mouvements, à Dungannon. C’était un endroit plutôt paisible. Sauf depuis l’assassinat du Maire regretté, évidemment. Un vent de panique soufflait dans cet endroit si reposant. Pourtant, Kayden n’était pas inquiète. Elle était plutôt du genre sereine à toute épreuve – ou presque. Cela expliquait aussi son sang-froid en la présence de l’officier Regan. Elle ne le craignait pas, même si elle se méfiait de lui comme on le ferait d’un potentiel ennemi. A découvert, elle savait toutefois qu’il n’était pas une menace. Par politesse, et un brin de curiosité, elle se plaça devant lui en osant lui demander ce qui l’amenait dans un si bel endroit. L’Irlande n’était pas le pays des plus grands criminels. « La pluie. » La grande brune lui sourit, amusée d’une telle réponse. « Le charme irlandais. Avec le thé, évidemment. » Finit-elle par avouer, lassivement, en touillant son café noir avec sa petite cuillère. La vapeur qui s’échappait du liquide avait le don de lui rappeler son enfance. L’odeur aussi, dans le fond. Pourtant, elle n’appréciait pas la douceur de ce dernier. Elle le souhaitait corsé, évidemment. « Je ne suis pas ici pour vous. Cela dit, ça ne veut pas dire que j’ignore tout de la question. » Kayden arrêta tout mouvement et releva son menton, plongeant ses prunelles dans celles de Gareth. Aucun sourire. Cependant, elle n’était en rien troublée. Tout sur son visage semblait figé, comme mort. « Vraiment ? » Lâcha-t-elle avec un ton qui se voulait espiègle, manquant presque de sérieux. Elle reposa sa main sur la petite table, près de son assiette. « Vous ne m’intéressez pas. Aussi longtemps que vous ne tuez personne. Personne qui ne le mérite pas, j’entends. Les autres, je dois avouer que cela m’est bien égal. » Un sourire s’afficha au coin de ses lèvres. Elle l’aimait bien, finalement, cet agent inopportun. De toute évidence, il savait que la dame ne commettait aucun crime sans que ce soit mérité. Hélas pour lui, elle n’avouerait rien du tout. « Oh vous savez... Je ne fais que mon travail. » Se contenta-t-elle de lui dire, paisiblement, comme si elle ignorait de quoi il parlait. Elle se référait plutôt à ses états de service dans la police. Après tout, elle n’allait quand même pas crier sur tous les toits qu’elle tuait des gens, même si c’était tous des ordures de première classe. Parce que pour les atteindre, elle devait parfois s’allier avec des ripoux, elle aussi. « Santé. » Finit-il par lui dire, levant son gobelet de thé. Kayden prit sa tasse brûlante et répéta le geste de Gareth. « Santé. » Puis elle posa son café sur la petite assiette blanche, avant de prendre ses services et de couper son cheeseburger, en avalant un morceau. Elle se nourrissait sans trop apprécier le goût de la nourriture, de manière générale. Mais elle devait admettre que c’était un de seuls mets qu’elle aimait bien. Surtout dans le petit fastfood. « Vous devriez en goûter un, agent Regan. Ils sont délicieux, ici. » Dit-elle, avec un regard rieur. Après tout, il n’y avait aucune raison de se montrer hostile avec lui. Même s’il connaissait Charie.