+ Parfois, tu dois laisser les choses s'en aller pour que des meilleures choses puissent arriver dans ta vie. +
Du plus loin que je me souvienne, ma vie n’a jamais été que mélancolie. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai été malheureuse, ni même délaissée mais j’ai jamais pleinement ressentie ce moment de plaisir intense qui vous enveloppe dès l’instant où vous posez les yeux sur quelqu’un, ou bien même quand vous vous retrouvez dans une situation des plus parfaites. Je n’ai peut être pas eu la chance de connaitre mon père, Orion Vaughn, mais ma mère a toujours été un modèle pour moi. D’après elle, ils n’étaient pas fait pour vivre ensemble. Elle appelait ça le destin. Pour moi ce n’était que la fatalité de la vie. J’aurai aimé croire qu’un jour, ils puissent tout deux vivre heureux et que nous formions enfin une vraie famille. Mais je n’étais pas assez stupide pour y croire. J’ai très vite compris que ce père absent ne viendrait jamais rencontrer sa petite fille. Jamais il ne lui apprendrait à faire du vélo, jamais il ne serait présent quand elle rencontrera son premier prince charmant et jamais il ne sera celui qui l’accompagnerait à l’autel le jour de son mariage. C’était un fait, et un moins d’un miracle il n’y avait peu de chance que ça change...
J’ai vécu la majeure partie de mon enfance à Paris. Bien que l’image de cette ville soit assez faussée de part la faute de grands écrivains qui aiment croire qu’elle est le lieu de tous les plaisirs, j’en suis assez fière. Parader dans les plus grands magasins de la capitale était toujours un moment de plénitude intense. En revanche, réaliser qu’on ne pouvait même pas se payer la moitié des choses était des plus frustrants. Mais ma mère a toujours su garder son assurance. Elle réussissait à montrer aux autres qu’elle n’avait pas besoin d’un homme pour combler sa vie, je savais, qu’au fond, elle souffrait terriblement de l’absence de mon père. C’est là que j’ai appris que l’être humain était doué pour se déchirer l’âme en mille morceaux à l’aide d’une petite cuillère. A croire que plus ça faisait mal et plus on se sentait vivre. Il fallait peut être ça au final, pour exister. Même si j’aurai aimé croire le contraire, j’allais apprendre cette vérité de moi même.
15 juillet 1996 - PARIS
« Maman ? Ou ta mis ma valise ? Tu sais que mon avions ne m’attendra pas ! » Le stresse qui commençait à se faire ressentir ne me permettait pas de décompresser. Mon avion décollait d’ici 4h pour les Etats Unis et je n’avais nullement envie de le louper. Surtout que j’y avais laissé toutes mes économies... Mais le plus dur était certainement le fait de laisser ma mère, ici, en France. Elle allait être seule, elle qui pendant 18 ans ne m’avait pas lâcher d’une semelle. Et si elle arrivait à cacher sa tristesse, moi non. « Dans le salon ma chérie. Tu as besoin d’aide ? ». Sa voix ne tremblait pas, comparée à la mienne qui ne cessait de se bloquer chaque fois qu’elle pointait le bout de son nez devant moi. « Merci, mais ça devrait aller. » Autant s’habituer tout de suite à cette séparation, qui de toute façon allait être des plus déchirante.
Mon choix de partir était purement professionnel. J’avais envie d’étudier la médecine. Mais aussi de découvrir le monde. Autant allier les deux et s’offrir l’une des plus prestigieuses faculté. Ma mère m’ayant offert les portes de Washington et de son Université John-Hopkins, je ne pouvais décemment plus reculée. Même si j’en avais terriblement envie. « Prends soin de toi ma chérie, tu verras je suis sur que c’est magnifique là bas ». Mon coeur s’était de nouveau emballé, et je n’avais pu retenir ces larmes que j’avais tant refoulé au fond de moi. « Et toi fait attention à toi surtout, d’accord ? ». Même si ça ressemblait plus à une obligation qu’une question je ne pouvais me résoudre à la laisser. Elle était, dans ce monde, le seul pilier qu’il m’ait été donné. La seule qui arrivait à lire en moi comme dans un livre ouvert. La seule véritable amie que j’ai réellement eu jusque là. Je savais que pour elle, ça allait être tout aussi difficile. Mais elle était forte. Elle y arriverait. « Aller file, on a pas fait tout ce bout de chemin pour que tu loupes ton vol, hein ? » Elle avait toujours eu ce sourire qui savait vous réchauffer le coeur en l’espace de deux secondes. Elle était tellement belle. Tellement forte. Sur le moment je me suis demandé comment un homme, qui se voulait être mon père, avait pu la laisser seule. Quel idiot.
6 septembre 1996 - WASHINGTON
Les Etats-Unis ressemblaient en tout point à ce que j’avais pu en lire, voir, entendre. La ville de Washington était à elle seule un monde à ciel ouvert. Les gens y étaient intarissables, puissants, intouchables. Comment une gamine, comme moi, de 19 ans allait pouvoir s’en sortir ? En devenant comme eux. Comme ces personnes ressemblant plus à des zombies qu’à des humains. Les premiers mois d’acclimatation avait été difficiles. Mais je savais que j’y arriverais. Fallait simplement devenir une personne absente de toutes émotions pour réussir professionnellement. Ca je l’avais compris les premiers jours de mon entrée à la Faculté. Et si lorsque ma mère me demandait, au téléphone, comment ca se passait, je répondais « à merveille », mon corps tout entier lui s’en offusquait. Parce que non ça n’allait pas, parce que je voulais retrouver mon petit cocon, parce que j’avais envie de la serrer tellement fort contre moi... J’étouffais affreusement dans cette ville, et ma difficulté à parler anglais n’aidait en rien. Mais je ne lâchais pas... Pas encore.
Et puis il est arrivé. Sans crier gare il est entré dans ma vie comme une bouffée d’air frais. Je le revois encore avec ses boucles frisées, sa barbe mal rasée, et ses allures de mauvais garçons. Je ne sais pas ce qui m’a plu au juste chez lui. Ni même pourquoi je m’intéressais tant à une personne telle que lui. Je ne savais pas grand chose de Logan, hormis qu’il était militaire de métier. Mais il réussissait en l’espace de quelques minutes à me faire sentir bien. J’espérais au fond de moi qu’il en était de même pour lui. Nous passions de plus en plus de temps ensemble, il m’apprit les secrets de leur langue, j’essayais d’y apprendre la mienne. C’est grâce à lui si j’ai tenu le coup à Washington. Je n’aimais pas forcément dire qu’il était mon petit ami, un très bon ami était un terme plus adapté. Même si secrètement j’en était éperdument amoureuse et comme si mon monde ne tournait plus qu’autour de lui, lui il préférait jouer les durs à cuire. Au fond je savais qu’il n’était pas que ça. En réalité, je me voilais simplement la face... Deux ans avait suffit pour faire de cette amitié une amitié solide. Du moins c’est ce que je croyais. Car oui j’étais naïve, ou trop rêveuse comme ma mère aimait me le rappeler. J’espérais qu’un jour, il se glisse derrière moi, m’enlace de ses puissants bras et ne voit plus en moi seulement la fille rigolote avec qui il aimait passer du temps, mais la femme que je devenais petit à petit. Hélas j’allais bientôt voir mon rêve voler en éclat...
25 mai 1997 - WASHINGTON
Cette journée, jamais je ne l’oublierai. Je me souviens encore du redoutable orage et de la pluie qui n’arrêtait pas de cogner contre la fenêtre de ma chambre d’étudiante. Je peinais pour réviser mes examens qui approchaient à grands pas, mais rien ne parvenait à rentrer dans ma misérable cervelle parce que lui occupait toutes mes pensées. Ce jour là, j’allais enfin lui dire ce que je ressentais, ce jours là j’allais devenir cette femme forte et sur d’elle. J’allais devenir sienne... Enfin c’est ce que je croyais... Car finalement Logan n’ai jamais revenu frapper à cette porte. Il n’a plus jamais sourie de cette façon que j’affectionnais tant... Il n’a plus replacé ses bouclettes en place... Il n’a plus jamais crié après le voisin du deuxième qui faisait un boucan impossible... Parti. Il était parti...
Cette année là je n’ai pas réussi à passer en année supérieur. Cette année là, je n’étais plus que l’ombre de moi même. Je n’étais plus que cette fille préférant se recroqueviller sur elle même et pleurer toutes les larmes de son corps, se nourrissant à base de caféine, uniquement pour paraitre encore « éveillée ». Parce oui ça faisait mal. Ca ne devrait pas être permit d’abandonner quelqu’un de la sorte. C’était trop douloureux. Tellement... Durant des mois j’ai maudit mon père de nous avoir abandonner ma mère et moi, j’ai maudit Logan d’être parti sans laisser de mot, j’ai maudit le monde entier... Mais le monde allait voir besoin de moi, et moi de lui pour me relever...
5 septembre 2003 - WASHINGTON
Le soleil illuminait le parc de l’Université de Washington. Ma mère avait prit l’avion spécialement pour l’occasion. Faut dire j’avais enfin obtenu mon diplôme ! J’étais devenue cette médecin que j’avais toujours voulu être. J’allais prouver à tous ceux qui ne croyaient pas en moi que la petite bourgeoise de Paris n’était pas forcément celle qu’elle prétendait être. Car oui, depuis le départ de Logan, je me suis forgée cette carapace qu’il était difficile d’enlever une fois enfilée. Si dans mes relations cela ne les avaient pas amélioré, mon avenir était désormais tout tracé. Je partais prochainement pour le Cambodge afin de finaliser mon apprentissage. J’allais pouvoir sauver des vies, j’allais pouvoir voir ces enfants sourire à nouveau. Eux au moins n’avaient rien à envier à personne. Ils étaient ce qu’ils avaient envie d’être, et ça, ça n’avait pas de prix. « Je suis si fière de toi ma chérie ! » J’enlaçais ma mère de toute mes forces. La retrouvé me ramena des années en arrière, quand je n’étais encore qu’une gamine enveloppée de rêves tous plus fous les uns que les autres. L’Amérique m’avait peut être prit mon innocence, mais elle ne me volerait pas ce qui me restait de dignité. Je mis un point d’honneur à enterrer mes cauchemars et ma vie d’ici. J’allais enfin récupérer mon monde. Même si cela voulait dire partir en missions à l’autre bout de la terre. Le sourire aux lèvres, je retournais, bagages en main, vivre en France.
22 avril 2007 - INDONESIE
Pourquoi j’avais tant voulu devenir médecin humanitaire ? Parce que je voulais me sentir utile. Savoir que dans ce monde je n’étais pas rien... Chaque jours que Dieu faisait, je voyais des horreurs à n’en plus finir. J’étais couverte de sang de la tête au pied. La guerre n’évitait personne. Encore moins les enfants... Ils arrivaient par vague. Certains s’accrochaient à leur arme comme à une ancre qui les retenait dans ce monde de brute. La plupart mouraient de leurs blessures... J’étais pourtant la meilleure de mon domaine. Mais on ne pouvait pas éviter des pertes... Et chaque mort qui se déroulait sous mes yeux, rendait mon travail encore plus difficile. A vrai dire je n’ai jamais vraiment su comment j’arrivais à tenir. Certains disaient que j’avais un mental d’acier. Je crois surtout que j’avais tellement cette envie de les voir sourire à nouveau, que c’était comme un second souffle. J’avais besoin ça. J’avais besoin qu’ils rient encore. Car ça voulait dire que malgré les malheurs, il y avait toujours moyen de sourire à la vie. Jusqu’à ce que ce fameux jours arrive et m’enlève ce qui me reste d’espoir...
12 Janvier 2010 - HAITI
On m’avait envoyé à Port aux Princes pour aider quelques familles à guérir du paludisme. Une maladie qui pouvait faire des ravages si elle n’était pas prise à temps. Inutile d’infliger la mort d’une mère ou d’un père à ces bouts de choux qui avaient tant besoin d’eux... Cela faisait bien une semaine que j’étais ici. La chaleur m’assommait la plupart du temps, mais je tenais le coup. Pour eux... Puis c’est arrivé en pleine journée... Le sol à commencer à trembler sous nos pieds. Dehors, la population ne cessait de s’affoler. Criant, courant, se débattant du mieux qu’elle le pouvait. Sur le coup, je n’ai pas vraiment compris ce qui était en train de se passer réellement. C’est quand un petit garçon de 7 ans, m’agrippa la main et qu’il me demanda de me cacher sous la table que j’ai compris. Un tremblement de terre... Je savais que ça pouvait arriver. Mais jamais je n’aurai pu penser que ça allait ruiner ma vie à ce point. Le petit Gary s’était blottit contre moi. Dehors, c’était un véritable carnage. La petite tente sous laquelle nous nous tenions n’allait sans doute pas tenir longtemps, j’en était consciente. Pourtant, mon corps entier refusait de bouger. J’étais tétanisée. Les secondes me paraissaient être des minutes. Dans l’entrebâillement de notre refuge, j’apercevais au loin les immeubles s’écrouler les uns après les autres... Je voyais des centaines de personnes mourir sous mes yeux, leur corps se dérobant sous le nuage de fumé qui emplissait la ville. Impuissante, je sentais les larmes me monter au yeux. A quoi sa servait de sauver des vies, si c’était pour que la mort vienne m’en prendre le triple, hein ? J’enfouissais mes joues dans le cou du petit garçon qui s’accrochait à moi. Il criait lui aussi... Bientôt le sol sous nos pieds se déroba. Gary tomba dans le trou béant qui venait tout juste de se former. Il ne se tenait plus que par une main à ma veste. « Non ! Gary ! Attrape ma main ! Je t’en prie ! » Trop tard... L’éboulement se déroulait sous mes yeux désarmés. Le corps du petit garçon se retrouva écrabouillé par d’immenses pierres... Sur le coup je ne pu retenir qu’un cri étouffé. J’aurai voulu mourir mille fois si ça avait permit à ce petit de vivre... Comment pouvait-on mourir de la sorte ? Comment pouvait-on permettre ça ? Inefficace, je sortais à genou de la tente, mon corps agissant, uniquement par instinct de survie. Dehors, Haïti était en train de vivre la pire journée de sa vie... La malédiction qui venait de s’abattre sur cette ville n’était pas finie... Et je n’étais pas au bout de mes peines. Hélas, mes yeux se fermèrent sur ce qui ne restait plus que de cette ville... Rien.
15 Janvier 2010 - HAITI
230 000 victimes, 300 000 blessés, 1,2 millions de sans abris. C’est le bilan officiel du tremblement de terre qui tombera d’ici quelques mois... Dans mon malheur j’avais eu la chance folle de m’en sortir indemne. Mais peu de personne vivant ici pouvait en attester autant. Ils m’avaient appelé... Le MDM (médecins du monde), pour les aider. Sur le coup j’avais refusé, je voulais quitter ce pays et retourner me blottir dans les bras de ma mère. Mais j’en avais assez de fuir. Je voulais retrouver cette femme forte que j’avais été durant mes années de fac. J’en avais besoin. Alors pour la première fois de ma vie, j’ai réussi à mettre mes émotions de côtés. J’ai réussi à faire ressortir cette fille que je détestais autant que je l’aimais. Elle était sans pitié. Elle n’avait pas besoin qu’on lui dise quoi faire. Elle était forte... Bien plus que moi. Cependant je savais qu’en faisant appelle à elle, j’allais avoir du mal , par la suite, à retrouver celle que je suis. Mais peu importe, la douleur était bien trop difficile à supporter... Voire toutes ces personnes pleurer de chagrin, j’en pouvais plus... Dehors, des chants à la grâce de Dieu s’élevaient, suivis d’aboiement de chiens errants. Les survivants tentaient tant bien que mal de sauver ce qui pouvaient l’être... D’autres cherchaient inlassablement des proches, portés disparus pour la plupart. C’était un chaos des plus totales qui régnait à l’hôpital. J’avais beau dissimuler mes sentiments, j’étais parfois incapable de regarder certaines personnes en face. Je faisais mon métier de médecin. Point. La plupart des opérations que je réalisais étaient des amputations. Elles s’enchainaient les unes après les autres... Encore et encore... Dans la salle d’attente, la catastrophe était sur toutes les chaines, on pouvait y lire le slogan « On a vu beaucoup d’horreur partout dans le monde, mais jamais une telle catastrophe ». Je ne pouvais qu’être plus d’accord. Le peu d’humanité qui me restais s’était envolée avec cette horreur. Et j’allais avoir le plus grand mal à oublier... Parce qu’on oublie jamais, on vit avec.
9 Décembre 2013 - PARIS
J’étais devenue ce zombie tant détesté. Acerbe, violente, forte. Déjà trois ans que ce séisme a eu lieu et trois que je n’ai rien fait d’autre à part enchainer les petits boulots dans des cabinets médicaux miteux. Ma mère se désolait pour moi. Elle tentait tant bien que mal de me parler. Mais elle se retrouvait impuissante face à celle que j’étais devenue. La nuit, les cauchemars allaient et venaient. Certains plus affreux que d’autres me tordaient de douleurs, mes cris réveillant sans doute toute la maison. Et comme chaque nuit, ma mère descendait pour venir me blottir dans ses bras, sa chaleur m’apaisant quelques heures avant que les cris ne reprennent de plus belle. Ce n’était pas une vie. Ni pour elle, ni pour moi. Alors elle prit la pire décision de toute sa vie. Me forcer à quitter la maison et m’envoyer en Irlande quelques mois. Elle m’affirmait que c’était pour mon bien. Que la bas je retrouverai quelques racines, dont celles de mes grands parents. Ils étaient vieux, mais acceptaient avec joie de m’accueillir si jamais je voulais bien les aider pour quelques tâches ménagères quotidiennes. Je ne sais pas ce qui me pris d’accepter. Peut être l’envie de changer. D’oublier... Alors j’ai sauté dans un avion et je suis partie. Ce que j’ignorais, c’est qu’à nouveau mon passé allait me rattraper... Et qui sait s’il n’allait pas enfin m’abattre pour de bon.