« Jackson, Louise, Diane, Elizabeth, voici votre petit frère, Gareth. »
Diane, huit ans, Elizabeth, six ans, Louise et Jackson, cinq ans, regardèrent le bébé qui dormait profondément dans les bras de leur mère. Pas vraiment un accident, Gareth n’était pas pour autant planifié. Sans parler de la grossesse plus que compliquée et difficile. Les médecins avaient certifié que ce serait un enfant chétif et fragile. Ils avaient eu tort. A seize ans, il dépassait largement son père, pourtant très grand. Il était très carré d’épaules, très sportif, et son diabète, bien que contraignant, ne l’avait jamais arrêté. De plus, il était très intelligent. Trop intelligent, lui avait dit son père, trop sûr de lui. Mais au fond, il était fier de son petit dernier…
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« Jack, tu m’entends ? »
« Gary, c’est toi ? Oh bon dieu, je suis tellement content de t’entendre ! Tu vas bien ? »
« Oui, je n’étais pas près des tours… »
Un vil mensonge. Il regarda le paysage de désolation autour de lui. Il avait passé la nuit chez des amis qui n’habitaient pas loin. Le bruit du premier avion s’écrasant sur l’une des tours les avait réveillés. Ils avaient vu tout le reste. A présent, Manhattan était recouverte de cendres. On se serait presque crus à Pompeii.
« Gareth… Papa… Il était au Pentagone. »
Le jeune homme sentit un froid glacial le traverser. Non, son père avait toujours eu une chance incroyable, la chance de l’irlandais, comme il disait, la chance que son grand père paternel, venu de Dublin encore enfant, lui avait léguée. Pourtant, en ce 11 septembre 2001, cette fameuse chance ne l’avait pas sauvé. Il reposa le combiné et sortit de la cabine téléphonique.
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« Votre dossier est exemplaire, agent Regan. »
« Merci, monsieur. »
« Je vois que vous parlez couramment plusieurs langues. Vos compétences nous seraient extrêmement utiles en Europe du Nord. »
Gareth fronça les sourcils. Il n’était pas là pour une quelconque promotion, et il n’avait nulle envie de partir. Mais le sous directeur lui expliqua rapidement qu’il comptait sur lui pour en quelque sort recruter et débaucher des policiers britanniques et allemands pour l’agence. Ce n’était pas vraiment l’idée qu’il se faisait de son boulot, mais il réalisa bien vite que ce n’était pas sensé durer. Effectivement, quelques mois plus tard, il revenait aux USA avec dans ses valises, celle qui allait devenir sa partenaire.
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Gareth ouvrit les yeux, pour les refermer aussitôt. La lumière était trop crue pour lui. Il se demanda un instant où il était, avant de souvenir. Allemagne. Une fusillade. Il avait été touché. Charlie. Il rouvrit brusquement les yeux, mais ne les referma pas, cette fois ci. Elle était assise près de lui et semblait aller bien, malgré les cernes sous ses yeux et son air hagard, effrayé.
« Je suis resté dans les vapes longtemps ? » s’entendit il marmonner.
« Deux jours. Pourquoi est ce que tu m’as poussé, idiot ? »
« Parce que premièrement, je suis ton supérieur, et deuxièmement, je me voyais mal annoncer à ton petit copain que je t’avais laissée mourir. »
Il lui fit son sourire charmeur, celui auquel personne ne résistait. Charlie lui mit une tape sur le bras, le traitant à nouveau d’idiot. Elle n’avait sans doute pas tort. Même si kamikaze était sans doute plus proche de la vérité que le reste.
« Quelques cicatrices en plus me donneront encore plus de succès auprès des femmes. » rajouta t’il sans se départir de son sourire.
« Oh seigneur, tu es incorrigible. » lâcha la jeune femme en levant les yeux au ciel.
« Tu t’ennuierais si ce n’était pas le cas. »
Elle sourit, le regardant longuement, avant de murmurer un ‘merci’ tout bas. Ils se sauvaient mutuellement la vie, plus souvent elle qui sauvait la sienne que le contraire. Et c’était rarement allé aussi loin…
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Gareth se réveilla en sueur, brusquement. Il entendait presque ses sœurs et son frère lui reprocher de n’avoir jamais rien fait contre ses cauchemars. Il savait que ça ne le laisserait jamais tranquille, mais il n’était pas sûr de le vouloir. Il avait peur d’oublier. Mais pourrait il vraiment oublier tout ce qu’il avait vu et vécu là bas ? Se levant, le jeune homme regarda Washington. Les lumières donnaient à la ville quelque chose de surnaturel.
« Pourquoi tu ne reviens pas te coucher ? »
Tournant à demi la tête, il réalisa soudain qu’il n’était pas seul. Il avait déjà oublié le nom de la jeune femme, n’était pas très sûr qu’elle soit blonde, brune ou rousse. Pour ce qu’il en avait à faire, de toute façon. Il ne comptait ni la revoir ni la rappeler. C’était une habitude chez lui. Il était le petit dernier, bien content de sa situation et pourtant, harcelé par ses aînés pour qu’il trouve une charmante jeune femme avec qui il pourrait se marier et avoir des enfants. Quelle douce plaisanterie. Et puisqu’il ne trouvait pas chaussure à son pied, ici à DC, ils lui avaient tous conseillé de chercher en Irlande, où il était envoyé pour quelques temps.
« Tu devrais t’en aller. » lâcha t’il presque froidement. Elle n’était pas elle et ne le serait jamais. Ni aucune autre. « J’ai un avion à prendre dans quelques heures. Je n’ai pas le temps de m’occuper de toi. »
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Descendant de la voiture, il regarda le village autour de lui. On ne pouvait pas faire plus typiquement irlandais. Pittoresque au possible. Il ne pouvait pas croire qu’elle avait toujours vécu ici, ou presque. Il arrivait encore moins à croire qu’il s’était fait embarquer dans… Tout ça. Même si c’était, à la base, son idée. Charlie était un élément précieux, et ils ne pouvaient pas se permettre de la perdre. Il savait ce qu’elle avait traversé, ses chefs le savaient aussi. Tout comme ils savaient qu’il était son partenaire, son ami même. Clairement, ils étaient persuadés qu’il était le seul à pouvoir la faire changer d’avis. Et il était là, dans ce minuscule village où son accent américain ne passerait pas inaperçu, tout comme le délicieux accent irlandais de la jeune femme n’était pas passé inaperçu à Washington.